Essai
L’Histoire des États-Unis confirme l’idée que les paix ne sont que des trêves : à peine le sang d’une guerre se coagule qu’une autre guerre opère la saignée de toute une génération. Nous avons voulu remonter les fleuves de sang de cette Amérique pour affronter sa source noire, partant des déserts de l’Irak et aboutissant aux champs de bataille de la Guerre de Sécession, commençant par les versions extérieures de la guerre, par ses affaires étrangères, et terminant par sa déclinaison la plus intime, sa nature civile, la faille originelle d’une nation qui croyait avoir inventé l’essentiel avec la pacifique intelligence de ses Pères fondateurs.
Avouons-le tout net: Méridien de sang de Cormac McCarthy constitue peut-être l’expression littéraire la plus exacerbée de la violence intrinsèque de l’homme. Outre la guerre que les Américains font aux factions indiennes dans le désert du Mexique et ses territoires afférents (villes bouillantes, rivières roublardes et montagnes crevassées de raidillons mortels), l’amertume est irrévocablement totale et reflète en chaque homme la présence d’une guerre intestine éternelle. Dans ces profonds paysages où macèrent des archaïsmes hermétiques à toute forme d’adoucissement ou d’intervention pacifique, l’autre que moi n’est ni le prochain ni le lointain – il est celui qui doit être abattu, l’immémorial ennemi que je dois éliminer par n’importe quel moyen si je ne veux pas risquer d’être le repris d’une justice antédiluvienne, car, dans ce poumon infernal du monde, toute créature en position d’augmenter sa puissance d’agir comprend viscéralement que le meurtre est la panacée de son épanouissement. Pour McCarthy, la guerre contextuelle d’une Amérique aux trousses des Apaches s’estompe rapidement au profit d’une guerre idéelle qui se détermine en narration géniale du millénaire homo homini lupus. La perspective toujours menaçante de la mort brutale perpétrée par la main de l’homme sous-entend que les individus ne peuvent survivre qu’à la faveur d’une conversion démoniaque: si le meurtre devient la condition nécessaire du prolongement de l’existence, la guerre de tous contre tous n’est plus vraiment une passion triste qui affaiblit supposément les belligérants, elle devient au contraire une passion euphorisante qui érige l’assassin sur les sommets de la vie souveraine.