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Philosophie
Depuis toujours, on considère le phénomène du rêve comme délivrant d’étranges messages qu’il s’agirait de déchiffrer. À partir d’Aristote, une autre approche a émergé : celle qui consiste à regarder le contenu de nos rêves comme un produit de l’imagination. Toute l’histoire des discours sur le rêve n’a cessé d’osciller entre ces deux tendances. Quand, au XIXe siècle, la psychologie prend son essor, les deux tendances convergent dans un discours qui subordonne l’herméneutique des rêves à leur explication psychologique.
Un autre fait, aussi ancien et non moins remarquable, a retenu notre attention : c’est la pérennité de l’argument du rêve qui fait pâlir la veille jusqu’à y voir un rêve, quand ce n’est pas pour voir en lui la métaphore de l’existence humaine comme immense illusion.
Nous savons que nos nuits sont peuplées par des rêves, mais si nous ne pouvons dire que dormir c’est rêver, que nous rêvons tout le temps que nous sommes endormis, nous soupçonnons toutefois que nos souvenirs de rêve s’apparentent à des arbres qui nous cachent la forêt, ou qu’ils sont comme des bribes que la mémoire a pu ravir in extremis aux rêves qui se défont en même temps qu’ils se font. Or il est fort probable que ce soit ce soupçon qui ait encouragé les hommes à regarder leurs rêves comme des messages possiblement cryptés, des énigmes à résoudre, des signes à déchiffrer. Tant que la science n’a pu, par ses propres expériences, montrer que le sommeil comporte des phases de rêve, on a pendant longtemps cru que les hommes passaient la plupart de leurs nuits à dormir sans rêver et que, quand ils rêvaient, le phénomène devait signifier quelque chose, avoir quelque raison cachée de se produire. Aussi les hommes ont-ils investi leurs croyances pour rendre leurs rêves sensés, en se dépossédant de cette activité dont notre langue dit bien qu’elle consiste pour chacun à « faire » ou à produire ce qu’on appelle « un rêve » : ils pensaient que les rêves faisaient partie des signes et des avertissements que les divinités adressaient aux mortels.