Romans
Le camp
Pierre MannoniUn camp, quelque part… Quelque part, parce que ce camp n’est pas situé précisément dans une ville, ni même dans un pays. Ce n’est pas un camp installé par un gouvernement, ni par une dictature. S’il excède les frontières, c’est parce qu’il ne relève d’aucune et, qu’à ce titre, il les englobe toutes. Il est de tous les lieux, en somme, « partout où il y a des hommes », ainsi que le proclame un des personnages du roman.
La nuit était déjà très avancée lorsque le convoi arriva au camp. Le voyage avait duré plusieurs heures dans les camions bâchés, et la somnolence avait fini par gagner presque tous les hommes, malgré les cahots de la route. Au bout d’un moment, les deux gardes eux-mêmes, près de la ridelle arrière, s’enfonçaient dans leur capote à col relevé. Ils avaient, depuis longtemps, déposé leurs casques à leurs pieds. L’un des deux, après l’avoir cependant conservé durant la première heure de route, l’ôta également, dès que la torpeur s’installa en lui. Alignés sur les banquettes, serrés épaule contre épaule, les hommes s’inclinèrent les uns après les autres et enfouirent presque tous leur tête dans leurs bras croisés, sur leurs genoux. Dans la pénombre qui régnait sous la bâche, les dos courbés évoquaient de gros sacs emplis d’une matière tremblotante qui faisait de lents mouvements de vagues lorsque les camions prenaient des virages.