Roman français
Années Camus
Jean-Pierre Millecam«À l’époque où il lut le manuscrit d’Hector, Albert Camus était aux prises avec l’une de ses œuvres majeures: L’Homme révolté. Peut-être que mon roman, qui sentait le soufre, lui sembla épouser la ligne qu’il développait tout au long de ce vaste essai. Il y retrouvait non seulement le train-train d’une Algérie coloniale ignorant son destin, mais, à travers ce semblant d’innocence, le malaise inspiré par de jeunes voyous qu’une sorte de fatalité, sous la splendeur des nuages et des roseaux dansant leur pavane, conduirait à trancher les mains à un pianiste avant de le débiter en morceaux. L’horreur de l’acte, la splendeur du décor et du Temps bondissant de seconde en seconde, tout cela était donné à la fois.
J’ ai trois meurtres sur la conscience. Le premier est celui d’un jeune lapereau. Il m’avait été confié par une camarade de lettres qui le tenait d’un fellah. L’homme, pour capturer l’animal, s’était jeté sur lui de toute sa hauteur: il l’avait blessé. C’est ce que je constatai lorsque ma camarade se fut éclipsée en compagnie d’autres stagiaires pour une randonnée le long de la Chiffa. J’étais seul avec le petit lièvre dans l’hôtel du gouvernement général. Je me pris à le cajoler et constatai que ses côtes, brisées, lui permettaient mal de respirer. Je cherchai de quoi lui couper le souffle et ne trouvai qu’un cintre: je débarrassai l’objet de son vêtement.