Roman français
Longtemps je me suis douché de bonne heure
Jean-Pierre MillecamPaul-Emmanuel est un célibataire attardé qui coule une existence sans heurt au Maroc, où ses occupations sont celles d’un haut fonctionnaire du Royaume Chérifien. Sa vie, un peu plate, se partage entre le souvenir de Marlène Dietrich, grand amour de ses vingt ans, dont il ne cesse de passer les chansons sur son électrophone, et de courtes randonnées à bord de son Impala, monstrueuse limousine que l’ami Lancelot a baptisée la Mort sur les 40 CV. Et voici que, un jour de pluie, entre Kénitra et Rabat, une auto-stoppeuse se présente : n’est-elle pas une version inédite, renouvelée, de Marlène ?
«Longtemps je me suis douché de bonne heure. » La petite phrase, timidement, venait de prendre son essor, de sorte que l’œil précis, circonspect, de celui qui l’avait prononcée, pouvait suivre son vol imprévisible, heurté comme celui d’un papillon, entre les parois humides de la salle de bains. Il se dressait, nu dans la baignoire où l’eau de la douche s’engouffrait dans le trou de vidange avec une série de borborygmes qui faisaient penser à un ricanement: la bonne, se souvint-il, refusait de verser de l’eau bouillante dans Je trou de l’évier, de manière à éviter les représailles des j’noun qui pouvaient loger dans le conduit.