Philosophie
Exister dans la nuit
Eric PrunierL’exubérance, la belle humeur, c’est la philosophie qui veut la réévaluation de toutes les valeurs de la civilisation occidentale. Nietzsche pense par-delà le bien et le mal, et se veut l’antidote à la maladie qu’il appelle la Grande Fatigue de l’Occident. Jean-Louis Chrétien soulève une objection : « Que de fatigue, dit-il, quelle grande fatigue dans le projet de dire non à la fatigue ! ». « L’affaire ténébreuse et extrêmement exigeante » qu’évoque Nietzsche c’est d’exister dans ce monde, qui est notre seul monde, sans y projeter nos catégories morales. Ce monde n’est ni bon ni mauvais, c’est un champ de forces.
L’intelligence moderne veut partout imposer sa lumière. Dans le monde comme sur l’intériorité, sa lumière se diffracte de multiples manières. Mais donnant accès aux objets, elle offusque aussi les choses. La première manifestation de cette volonté de maîtrise est la disparition de la nuit, la nuit cosmique, comme la nuit intérieure. La volonté de sécurité et la quête effrénée de divertissement trahissent la précarité d’un tel rapport aux choses. La philosophie ne peut demeurer indemne de cette volonté de lumière. La nuit de la philosophie signifie la fin de la sagesse et l’avènement de pensées nouvelles, dans le sillage de la phénoménologie, qui sont comme autant de théories de l’existence.