Philosophie
Spinoza & la liberté
Alexis PhilonenkoLa plus solide objection que l’on puisse faire à la science, c’est encore l’ignorance soutenue par la raison paresseuse. De plus, l’Éthique était rédigée en latin, et le grand Leibniz avait entrevu le déclin de la langue latine et jugeait chaque année son recul dans les « consciences savantes ». On estimait en deux façons le « latin » de Spinoza, et il y avait déjà les puristes qui éprouvaient devant ce « bousillage » un senti- ment d’horreur décidé. Cette race de critiques n’a pas disparu, tandis que la gloire de Virgile ne s’est jamais éteinte.
Spinoza connut un curieux destin, car, parmi les très grands philosophes, il fut peut-être le seul à ne jouir que d’une gloire posthume, tandis que les « autres » voyaient leurs œuvres publiées et republiées. C’est ainsi qu’au XIIIe siècle, il glissait dans l’oubli – n’ayant même plus, comme à Amsterdam, le cercle étroit et chaleureux d’amis pour l’entourer et le consoler. Vers les années 1750, on ne trouvait plus à acheter en Allemagne chez les libraires un exemplaire de son traité majeur : l’Éthique. On pouvait sans doute le consulter dans quelques bibliothèques, mais ce faisant on était « mal vu ». Quant à demander des explications sur ce formidable château cerné par des douves profondes, des barbelés, des remparts puissants, il n’y fallait pas songer – d’abord parce que l’on ne pouvait attendre des lumières d’un conservateur qui n’avait jamais ouvert l’Éthique – et ensuite parce que, de toute manière, on n’y comprenait rien.