Histoire
Aprés la Shoah – Histoire, mémoire, éthique
Alain DouchevskyÀ inscrire l’histoire et la mémoire de la Shoah en l’horizon limité de la citoyenneté et d’une éducation qui, croit-on, devrait – à partir d’elles – favoriser l’esprit de tolérance, on risque fort d’ignorer tout un pan de l’expérience humaine indissociable de cet événement sans précédent, au regard duquel la représentation paraît à jamais « en souffrance ». C’est une résistance singulière, en effet, qu’il oppose à la représentation historiographique ; aussi bien, à la problématique morale traditionnelle : elle appartient à l’histoire même de la catastrophe, en appelle à la mémoire, impose de sauvegarder le noyau absolument concret des faits – ce qui met aux prises chaque homme avec son humanité.
« Philosopher après Auschwitz », « penser Auschwitz », « la philosophie devant la Shoah » : aussi légitimes soient-elles, ces formules ont quelque chose d’inadéquat ; tout se passe pourtant comme si leur inadéquation elle-même était de rigueur, nécessaire parce que la catastrophe historique dénommée « Shoah » paraît s’imposer à l’esprit toujours autrement qu’il ne peut la proposer à la réflexion et au discours. Après elle en effet il ne sied pas à la pensée de se prendre pour l’oiseau de Minerve. Pour se tenir devant elle il faudrait que la rationalité philosophique pût la réduire comme toute chose à un problème, et d’obstacle la convertir en objet. Or si la Shoah semble initier un temps de l’histoire, si elle apparaît comme un événement sans précédent, c’est que son objectivation théorique, à mesure et dans quelque champ qu’elle s’opère, oblige qui l’entreprend à en avouer un certain insuccès. Obstacle pour la pensée morale à proportion qu’elle l’est pour la représentation, la Shoah exige ainsi l’ouverture d’un champ philosophique sui generis.