

Polar
Les rumeurs de corruption de la police et même de certaines instances haut placées étaient remontées jusqu’au gouvernement. Une réponse originale avait été apportée, avec la proposition de nommer au poste de Premier ministre un humanoïde entièrement équipé par l’intelligence artificielle. C’était une grosse poupée parlante en latex qui ne quittait pas son maroquin, installée dans un grand fauteuil empire. On s’était efforcé de rendre ses gestes et ses attitudes les plus expressifs possibles, grâce à de nombreux capteurs placés sous la fine pellicule de fibres synthétiques parcourues d’électrodes qui lui tenait lieu de peau. Les yeux étaient mobiles et pouvaient emprunter des expressions aussi variées que les émoticônes de votre messagerie.
Dans la salle rénovée du Quartz de Brest, avait lieu le premier congrès de psychanalyse maritime, une discipline originale fondée par Ezra Meyer.
Le professeur, en chemise blanche, parlait avec autorité devant une assemblée composée de représentants politiques et institutionnels. De loin, douché par les projecteurs, il ressemblait à un grand fantôme, agitant devant lui ses grandes mains d’orateur.
Au premier rang, Cynthia Bobard fouilla son sac à main. Le petit lapin de chiffon était bien là. C’était sa manie. Ça la rassurait toujours de sentir le doudou. Un petit moment de paradis. Sa drogue à elle.
On ne savait pas trop quelle pouvait être l’odeur de la peluche aux oreilles rognées, que la divisionnaire portait régulièrement à son nez. Une odeur de lait ? De chair d’enfant ? Ou d’autre chose.
On avait fini par s’habituer à la manie de Cynthia Bobard, elle ne prenait d’ailleurs plus aucune précaution quand elle faisait ce geste en public. Les oreilles de la peluche étouffée de baisers avaient presque entièrement disparu, il ne restait qu’une petite boule informe, un chiffon de tendresse, humide et parfumé.